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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 21:09

à F.

 

Oeil-de-vers--jpg

 

" ... laviolence, en s'épanouissant,

produit un épi de malheur,

qui ne fournit qu'une moisson de larmes "

Eschyle 

 

La tête posée sur le sein de Kathie, Malika pleure. Elle pleure toutes les larmes de son corps, en tremblant, comme une enfant.  Les sanglots se transforment en gémissements, puis en cris et Kathie se met à crier avec elle, plaquant plus fermement encore contre sa poitrine la tête de sa jeune éducatrice.

 

Hier soir encore, Malika se sentait si gaie, si vivante. Elle était invitée au mariage de Maud, une de ses nombreuses cousines. Un hymen improbable avec Loïc, un beau garçon stylé et intelligent, de cinq ans son cadet.

 

 

 

 

La fête bat son plein. On s’amuse, on rit, on danse. On fait connaissance avec les autres convives. On boit, aussi. Beaucoup. Beaucoup trop. Sauf Malika. Elle est éducatrice spécialisée dans un lieu de vie qui accueille des adultes souffrant de polyhandicap. Le multihandicap de ses patients entraîne un état de dépendance permanent et l’attention qu’elle doit leur fournir est complexe et constante. Mais elle adore son métier. A 23 ans, Malika dispose de la maturité et de toutes les qualités requises pour ce métier difficile. Elle est patiente, persévérante, possède une grande qualité d’écoute et un sens aigu des responsabilités. Elle n’a bu aucun alcool, malgré les invitations parfois pressantes de ses amis. Elle travaille demain et les journées sont si astreignantes qu’elle ne peut se permettre le moindre écart de conduite ce soir. D’ailleurs, il est temps qu’elle rentre. Elle cherche Maud pour la féliciter encore et la remercier de l’invitation.

 

Le couple, un peu à l’écart, semble lancé dans une conversation préoccupée. Malika s’approche et tend une oreille distraite. Loïc s’alarme auprès de sa femme. Sevan et ses trois copains sont complètement soûls et deviennent insupportables. Outre la déception de voir ses meilleurs amis se comporter de façon aussi immature le jour de son mariage, Loïc est inquiet ; ces quatre  idiots viennent de se mettre une telle camphré qu’il est hors de question de les laisser reprendre la route ce soir.

 

Malika propose de les héberger. Elle a une chambre d’ami, puis il y a le salon. S’ils se serrent, ils peuvent rester chez elle pour la nuit. Les quatre garçons, un peu penauds, acceptent sans résistance. Ils s’excusent en geignant à qui mieux mieux leur déférence. Loïc vient de leur passer un sacré savon ! Un peu honteux, ils s’embarquent sans un mot dans la Yaris de Malika.

 

Malika se couche dans son lit avec le sentiment d’avoir effectué une bonne action. Elle se love dans ses draps, serrant contre elle son « doudou », son inséparable peluche fétiche, qui  l’accompagne dans les bras de Morphée depuis le commencement de sa vie, c'est-à-dire depuis toujours. Malika la confiante et pragmatique éducatrice porte aussi en elle le sceau d’une enfant sensible, candide et vulnérable. Elle inspire à plein poumon l’odeur âcre du doudou qu’elle prend soin de ne jamais laver.

 

Presque aussitôt, un grincement de porte déchire le silence.

 

Le ciel soudain s’ouvre et la lune, pupille ronde et ambrée, jette un regard froid entre la minuscule fente des rideaux. Les quatre garçons sont là, debout dans sa chambre, quatre Arès nus, lèvres fendues, muscles bandés, verge hérissée. Une étincelle diabolique, lumière Tcherenkov, scintille dans leurs yeux, et sur la lame. Puis la voûte céleste referme sa paupière de nuages et la pièce retrouve sa funeste pénombre.

 

Les quatre garçons s’approchent du lit, agacent leurs tentacules sur le corps de Malika, leurs bouches-ventouses laissent de spumescentes traînées de bave sur la peau chaude et douce. Les quatre hommes ne font plus qu’un, Poulpe immonde et sordide qui se pourlèche du corps de la pauvre fille. « Hey regardez ! Elle aime ça, elle bouge pas ! » gueule dans un rire d’insecte le garçon qui tient la lame sous le cou de Malika.

 

Malika crie mais aucun son ne réussit à s’échapper de sa gorge cimentée par l’effroi. Elle voudrait se débattre, elle voudrait griffer, elle voudrait mordre mais son corps est plombé et ses muscles ne répondent pas. Elle hurle pourtant, elle hurle de toutes ses forces mais son esprit tétanisé ne sait plus guider que des gémissements pathétiques entre ses dents serrées.  Son esprit encaisse de plein fouet le choc syncopal de l’impuissance.

 

Malika, sidérée, abandonne. Elle prend ses ailes à son cou et s’enfuit, très loin à l’intérieur d’elle-même, au-delà de l’horizon. Elle livre en pâture, aux tentacules du Mâle, son corps inerte et confie son âme aux étoiles. Elle habite à présent une lumière sourde et chaude qu’aucun son ne trouble. Elle se laisse dériver aux confins de son Histoire, comme quand tout était encore liquide. Elle chaparde quelques rayons au soleil et esquisse des rêves et des Châteaux à la Pangloss sur l’écran de ses trous noirs. Quelque part au loin, cachés tout au fond de l’horreur, les quatre hommes s’amusent.

 

Ils accrochent, comme des lampions de fête, leurs préservatifs souillés après la lampe, la poignée de la porte, le montant du lit. Ils vident les tiroirs de sous-vêtements, dessinent de gros cœurs sur le sol avec les slips et les nuisettes. Ils accrochent une guirlande de soutiens-gorge entre le plafonnier et la tringle à rideau. Ils écrivent « t’es trop bonne » au dentifrice, sur le miroir de la salle de bains. Puis, arrivés au faîte de leur débandage, ils quittent enfin l’appartement, sans même claquer la porte.

 

Malika se lève bien avant le soleil qui d’ailleurs n’existe plus. Elle part sous la douche et quand elle n’en peut plus de ne pas réussir à se laver de la souillure des hommes, elle sort. Elle s’habille, elle range tout, elle nettoie tout. Sans une larme. De gestes mécaniques, sans se poser plus de questions ; elle est dans le déni. C’est dérangé, elle remet de l’ordre, c’est tout. Puis elle part au travail.

 

Elle a mal à la tête. Elle est sonnée. Elle a l’esprit ankylosé, l’âme et le corps ravagés d’ecchymoses. Mais rien de tout cela ne transparaît, aux yeux de ses collègues. Elle se caparaçonne dans ses vêtements de travail, puis entre dans la salle commune des résidants.

 

Kathie est une jeune fille souffrant de polyhandicap sévère. Elle est résidante permanente au Logis du Soleil depuis treize ans déjà. Depuis que l’on a découvert que son oncle et son beau-père abusaient d’elle depuis presque deux années pleines. Elle était alors âgée de huit ans. Malika est son éducatrice de référence. Kathie passe ses journées assise sur le canapé, les jambes repliées. Elle se balance d’avant en arrière en poussant des cris stridents. Elle explose parfois, des décharges agressives et violentes, surtout lorsqu’elle est frustrée ou que l’on tente de l’approcher de trop près. Mais ce matin, elle se fige dès que Malika referme la porte. Kathie et Malika s’observent. Ça dure des heures. Ou quelques secondes ?


Puis sans un son, Kathie se lève et fonce sur son éducatrice. Elle attrape la tête de Malika et la plaque sans ménagement contre son sein.

 

Elle se met alors à lui caresser les cheveux. Avec une douceur stupéfiante. Il n’y a, dans, cet être dément, plus aucune brusquerie, plus aucune gaucherie, mais quelque chose d’indéfinissable, d’apaisant. De l’amour ? On ne sait pas. Mais le temps s’ouvre soudain. C’est une grâce. Le présent s’enivre d’une bonté divine.

 

 

Alors seulement, Malika lâche prise. Elle pleure. La tête posée sur le sein de Kathie, tremblant comme une enfant, elle déverse d’un coup toutes les larmes de son corps.

 

 

06.01.2014

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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 18:00

Le Jeu du Taquin

 

L’abandon, la séparation, le deuil. L’échec, la perte de confiance,la remise en question perpétuelle, le désespoir face à son inadaptation au monde. Ou à soi ? Il y a tant de raisons, ou de déraisons, pour que l’être s’abîme dans l’aven fangeux de la dépression. Ce soliloque ne réclame pas de compassion, n’entonne aucun procès, ne propose aucune réponse à la douloureuse question du suicide, mais tente de brosser un aperçu du chaos inouï dans lequel l’être peut être plongé durant un épisode dépressif. Puis viendra le premier pas vers la résilience, et la lente reconstruction de l’image de soi, alors complètement détruite…

 

Pour écouter, un clic ici :

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30 novembre 2013 6 30 /11 /novembre /2013 13:12

à GJ

 

 

A tous ceux qui voudraient voir une auto-

biographie dans ce roman : Rien n’est vrai.

Tout est vrai.


Monique Laederach

      « La Femme séparée » 

 

      Version audio  dès le 22.12.2013, 18h00, sur www.litteratureaudio.com  

Il y a dans ma tête comme des fissures d’aurore. Une aube éternelle qui oscille, tergiverse, bourgeonne, mais ne donnera jamais le jour.

 

J’ai  pris le train tôt ce matin. Je voulais aller écouter la bise faire chanter les drisses et les étais des plaisanciers du port d’Ouchy. J’avais dans mes poches des quignons de pain sec, pour les oiseaux du lac, et quelques idées noires dans l’abîme de ma déraison.  J’ai jeté tout le pain et me voilà maintenant traînant mes idées noires sous le regard sévère d’un cygne qui me guette. Il s’est posté en plein milieu du quai. Immobile, il me jauge en agitant parfois la tête, de haut en bas, sans me quitter du regard. Je ne comprends pas s’il est malveillant ou joueur.  Je reste là, sans plus oser bouger. Je voudrais pouvoir lui voler une plume pour écrire toutes mes maladresses sur l’écume du lac. Réunir les fragments de silence qu’il me reste à l’intérieur et me composer une nouvelle histoire.

  

Je sors celle que j’ai décomposée il y a quelques mois.  Tous ces mots dans ma tête, des mots que je détestais tant ils me ressemblaient, qui bouillonnaient, tout cet effroi, auquel venait s’ajouter un autre effroi, auquel venait s’ajouter... L’automne peint en rouge sang toutes les feuilles de l’arbre et les décroche, une à une, lentement. Elles virevoltent dans l’air humide, dansent en silence, se frôlent. Caresses. Puis elles touchent le sol et c’est un fracas, un séisme. Il ne reste qu’un hêtre dépouillé, qui cherche une lumière, tend ses ramures dénudées mais le ciel a déjà disparu au-dessus d’une chape de plomb. Et la neige qui tombe des nues a une couleur cendre.  C’est avec ces copeaux de charbon, mélangés à l’eau de mes larmes, de cette encre de seiche, que j’ai composé mon épilogue. Dire, pour pouvoir partir. Ecrire pour se donner le courage d’en finir.

 

On écrit, on écrit, on délivre sa tête

et son cœur

et son âme

 

et le courage s’effrite

 

Le courage, ce qui m’a toujours fait défaut. Il fuit par ma peau, parois de futaille à l’intérieur de laquelle se forme - réaction chimique avec la moisissure de la mère -  tout le vinaigre de mon être.

 

Pourtant, il m’en a fallu de la vigueur, pour déposer larme et coquille... Décrocher le téléphone, appeler le médecin, debout, pieds nus sur l’arête effilée de mes dernières forces. Dans l’océan acétique, une petite fille résiste, encouragée par le regard patient du gardien de l’Ombre. Tenir. Résister aux anguilles d’angoisse qui se faufilent dans le varech de la nuit. Elles cherchent le trésor dans l’épave engloutie, elles cherchent à me voler ma vie.


 

Entre mes mains, les deux feuilles, où j’ai graphouillé la faim de ma fin, sont en miettes. Tout en déroulant de fil des souvenirs j’en ai fait des confettis, que je remets dans mes poches. Je m’offrirais bien la liberté d’éparpiller ces scories, de laisser le vent faire son nettoyage. Mais le cygne me regarde d’un œil brillant et je me retiens de commettre cette incivilité. L’anatidé ne veut pas céder sa place et me barre toujours le passage.

 

Il n’y a aucun bateau sur l’eau et la bise, agressive, ride la surface du miroir. Mon regard s’égare dans les plissures du lac.

 

 

Quand j’ai refusé les médicaments qu’on voulait me prescrire, je savais que je décidais de prendre le chemin le plus long. Je savais aussi que lui, le tout frais et pimpant psychiatre, ne réussirait peut-être jamais à me pardonner ce rejet. Je comprenais son trouble et quand il m’a demandé, d’une voix suppliante et ferme, de lui promettre alors de ne plus rien tenter contre ma vie tant que nous travaillerions ensemble,

 

j’ai su

 

à quel point l’on peut tout à la fois être loin et proche

des êtres qui traversent nos vies

 

J’ai compris. J’ai promis. Il a accepté de détacher sa main de ses boîtes de Clomipramine et autres pilules multicolores, pour me la tendre, paume ouverte, maladroitement, courageusement. Il a balbutié une esquisse de thérapie et dès le second rendez-vous, s’est lancé. Une vraie catastrophe !

 

 

Je suis assise sur le canapé bleu comme la mer où l’on coule quand on ne sait pas nager. Un siège trop grand, trop mou, trop doux. Il est assis tout juste devant moi, les genoux à dix centimètres des miens, si proches que son souffle se mélange au mien et je n’arrive plus à trouver mon air. Je voudrais me lever, je voudrais fuir, aller m’asseoir parterre là-bas au plus profond du coin. Je voudrais sentir la verticalité des murs tout contre moi, des bras larges et solides, glacés, rassurants, qui m’enserreraient et me retiendraient dans la réalité.

 

Mais insensible à mon trouble il me sifflote en préambule un « Allez-y » sec et autoritaire, puis il ferme la porte de son regard, ouvre le gouffre de son isoloir, et attend.

 

Il est là, devant moi, strict et droit et le non-regard qu’il me lance traverse mon âme et s’en va frémir contre le mur derrière moi. Il me cherche mais je ne suis plus là. Il n’y a maintenant plus qu’un abîme entre lui et moi, et dans ma tête. Je m’accroche du regard aux branches du lilas qui balayent l’air dans le jardin de l’hôpital. Rester là, garder conscience, ne pas couler, s’accrocher au-dehors. De mes yeux ruisselle un acide qui brûle mes joues. Je lutte et lutte en vain pour garder en moi tous ces flots et ma tête va bientôt éclater. Je cherche tout au fond de mon ventre une forme assez fine, assez ferme, un mot qui saurait se glisser entre les parois de ma gorge, collées l’une à l’autre par l’effroi de cette situation.

 

Il y a une épaisse fumée noire qui s’avance et ronge les champs de fleurs

il y a des bâtons qui frappent le sol il y a le tonnerre qui fait vibrer le ciel il y a une tornade qui éjecte dans l’air tous les toits des maisons

il y a tout cela et tellement plus encore

 

c’est la mort qui m’appelle

 

je vais sauter par la fenêtre

 

 

Puis le lilas qui gesticule dans le parc penche tout à coup ses fleurs sous le soupir du vent, le soleil, qui guigne entre les nuages, glisse un rayon ambré entre les minuscules coroles. Une voix, la petite perce-neige plantée dans le terreau de ma conscience par le gardien de l’Ombre, agite ses pétales : le bureau du médecin, il est comme ton moral, « au rez-de-chaussée ». Tout ce que tu réussiras à faire c’est te casser les cils !

 

La gorge s’ouvre, des mots s’échappent, se tendent, supplient : s’il vous plaît... 

 

Le médecin a rempli à nouveau son regard et le temps a repris sa course.

 

 

Il était là, devant moi, comme ce cygne magnifique et fier et l’étoile qui brillait dans ses yeux noirs n’était ni d’amour ni de haine ; elle était Vie, fragile et puissante, sensible et secrète. « Il a des larmes dedans ses yeux » a chuchoté l’enfant assise sur mes genoux. Mais j’étais la seule à l’entendre car le médecin, lui, ne pouvait la voir. Pas encore...

 

 

Un petit garçon s’est approché du cygne depuis quelques minutes. Il lui jette des morceaux de pain qu’il arrache à son sandwich. Il rit, en regardant le palmipède « niaquer » à toute vitesse les miettes qu’un congénère reluque depuis le bassin.

 

Je m’éloigne et je vais me glisser sous un cèdre. Je n’arrive pas à sentir la rugosité de son écorce à travers mon gros manteau d’hiver, mais je ressens son énergie et un sentiment de liberté et d’espoir grignote un peu le mal-être que je ressens depuis trop longtemps.

 

Durant les semaines qui suivirent ce premier échec avec ce psychiatre, j’ai cherché à suivre du doigt, comme une aveugle, les saillies du poinçon qui avait gravé l’Histoire sur ma peau, creusé dans chacune de mes cellules le lit de mes laideurs. Et comment faire alors, lorsque l’on découvre,  pétrifiée, que le bourreau de notre vie n’est autre que soi-même ? J’ai pris mon courage à deux mains et je suis retournée dans le laboratoire du psychiatre pour tenter avec lui de poursuivre l’expérience de la délivrance de mon âme.  

 

Il vient de m’écouter conter mon calvaire de la dernière séance et renonce à ériger devant ses yeux le grillage du confessionnal. Il est un peu tendu mais il sourit. Je serre fort contre moi la petite fille assise sur mes genoux et je me jette à l’eau. Je parle, parle, crache la masse de cendres incandescentes qui m’envahit à en devenir elles toute entière. Je raconte de mots-tisons la genèse de l’immonde, je me livre, pour me délivrer. Et tandis que mes mots s’éparpillent à ses pieds

 

et tandis que mon âme se dévêt de sa haine

l’abîme

se déshabille de sa couverture de flotte

et mon navire

se retrouve en cale sèche

 

Néanmoins, l’amertume

enfin                                        hors de moi

 

 

 

Devant moi l’homme, que mes flots ont submergé, fond. Je vois son visage se décomposer, ses yeux se noyer, ses épaules avaler sa tête, tout son être écrasé par le poids de toutes ces penséesimpansables que j’expulse, comme un volcan.

 

Il faut survivre à cela, à la lave brûlante, au poison des effluves à la poussière dense et nocive.

 

Il a survécu. Mais s’il eut un jour quelque empathie pour moi elle est dorénavant calcinée, à jamais.

 

Et moi, suis-je donc encore vivante ?

 

Je n’ai plus d’âme à moi.        Je suis

 

fumerolle que l’évent

 

forme et déforme à son gré


 

Mais à l’instant de me quitter, serrant dans la sienne ma main, il dépose ses deux yeux noirs aux creux des miens. Il me chuchote avec une infinie tendresse « Prenez soin de vous » et  je comprends alors

 

qu’il vient de faire connaissance

avec la petite fille assise sur mes genoux

 

 

Deux gamins passent en galopant juste devant mes pieds. Un troisième petit gars les course en hurlant des insultes. Je passe la main sur mon visage pour essuyer les larmes que je sens rouler sur mes joues, mais je me rends compte avec stupéfaction que mes yeux sont parfaitement secs. Ce n’est que le souvenir de ces jours de sinistre, tatoués sur ma peau, qui m’inspire ce réflex.

 

Il y avait trop de tout en moi, et au dehors. Il faut ployer me disait le roseau, mais le bois de mon armure, asséché par un Loo violent, avait perdu le peu de souplesse que le gardien de l’Ombre avait mis tant d’années à m’enseigner.

 

Sourd alors en moi cette impression de retour en arrière, de constant combat contre rien et pour rien, qui me laisse le goût âcre de l'échec en cœur. Parce que je ne savais plus écouter, plus respecter, plus accepter, plus tolérer, j'ai gâché tant de choses ! Tout est à recommencer. Je ne veux plus penser à tout cela. Le vent gelé fouette mon visage et malgré la capuche et le col que j’ai remonté sur mes joues, je ne sens bientôt plus mon visage. Je me relève. Le froid, la mauvaise posture, l’âge, un mélange de tout cela fait grincer ma carcasse. Il y a un petit restaurant un peu plus loin. Je cours jusqu’au seuil. Une clochette tinte tristement lorsque je pousse la porte. Je m’installe dans un coin et après avoir commandé un café, je sors le livre que j’ai trimbalé avec moi, histoire de me passer le temps durant le trajet en train. « La déchirure» d’Henry Bauchau. Le titre me parle, ou plutôt me crie dessus ; il est d’occasion. Ce n’est jamais que notre histoire que nous compulsons entre les lignes écrites par d’autres. Les mots gouttent sur le sol de notre caverne et l’écho résonne, et déraisonne,  jusqu’aux confins de notre inconscient. Que l’on s’en rende compte ou non. Le coton des mots à beau être doux ce n’est jamais qu’avec nos mains que nous refilons l’histoire à l’intérieur de nous. Un mot à l’endroit, un mot à l’envers, nous nous tricotons des chandails pour l’hiver, ou des procès pour nos abjections. On  s’emmêle les pieds dans le fil de l’histoire, on trébuche sur les mots, on se crée des liens, on s’y enroule, on s’y étouffe. Selon notre humeur...

 

« La déchirure ». Ça craque déjà, sous ma surface. 

  L'oubli, l'espoir. Le renouveau

Voilée de brume, l'aurore

Mystère. Promesse

Et l'espoir, toujours l'espoir

Celui du vent

 

Le vent dans les cheveux des enfants qui rient du temps

Le vent dans les voilures aux fenêtres ouvertes

Le vent sur un désert, qui façonne un visage

Un rivage

Pour que demain, je…

 

 

 

J’ouvre le livre. Je suis une indocile, espiègle et curieuse. Je m'engouffre avec résolution dans la forêt qui se dresse devant moi, regardant la tranchée avec défiance. Le bois regorge de dangers et je sens, derrière chaque bosquet, une menace, un défi. Une bête est tapie dans l'ombre et m'attend. Je la sens frémir et mon cœur crache dans mes veines un sang épais, chargé d'énergie.  La peur s'est muée en audace. J'avance.

 

 

Je lis. Assise à mes côtés une petite fille joue au Jeu du Taquin...

 

 

30.11.2013

 

Texte ©Judith Beuret

Musique ©Luca Ce

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20 novembre 2013 3 20 /11 /novembre /2013 15:47

Sabrina court. Elle longe les chemins de sa mémoire pour retrouver les pierres qu’elle a, dans sa misère, laissées rouler, laissées choir. Sabrina pleure, dans le silence du soir, l’impossible retour en arrière. Les regrets pourtant la mèneront en enfer, elle le sait, mais que faire ?  Elle a brisé le miroir et ne reconnait plus le devant du derrière, le "demain" du "hier". Il y a bien une musique, qui parfois l’oriente, mais qui souvent aussi, lorsqu’elle pénètre le vide de son cœur, résonne, résonne, et l’écho délétère la déboussole, la perd.

 

Elle irait chercher l’hors dans la rivière de nuagesl-envol2.jpg

qui court

dans l’étendue du ciel

 

Elle irait plonger dans le silence des mondes pélagiques

pour chercher le son des bulles d’air

qui éclatent

et libèrent l’être

de ses rêves inaccessibles

 

Elle irait chercher, sur les routes

le vent qui

efface les marques empreintes dans la poussière

gonfle les voiles

et pousse la barque vers l’avenir

 

Elle irait faire tout cela si elle savait

où s’évadent les nuages

où repose la mer

où s’ouvrent les routes

 

Mais elle a oublié, croit-elle...

 

 

Sabrina court, elle ne sait pas bien où, en avant en arrière elle n’a plus de repère mais l’ombre du désert pâlit sous la lumière du sourire que naguère tu lui glissas - repère - entre deux pages ouvertes.  

 

 

20.11.2013

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17 novembre 2013 7 17 /11 /novembre /2013 18:23

Les Veuves

Gil Pidoux (1938) consacre sa vie au théâtre : comédien, metteur en scène, adaptateur etencore décorateur. Il a également écrit de nombreuses pièces pour la scène ou la radio. Et ce n’est pas tout, Gil Pidoux est également peintre et poète.

Après La Lettre d’AustralieLa Muette, La Femme du peintre et Le Déménagement, je vous propose de découvrir La Comédienne, un poignant hommage à Marguerite Cavadaski.

Je remercie infiniment Gil Pidoux, qui a consenti avec amabilité et générosité à la publication de quelques unes des nouvelles de son recueil Les Veuves. Avec l’aimable autorisation des Éditions Au Plaisir de Lire.

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19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 18:36

l’écorce des chênes

griffe mon regard

 

et ta silhouette, hachurée

galvaudée par le jeu des ombres

           se perd...

 

 

mais, entêtée          entêtantes

les  notes de la symphonie

 

continuent leur voyage

 

 

 

19.10.2013

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18 octobre 2013 5 18 /10 /octobre /2013 20:34

J'aime pas 

j-aim-pas-copie-2.jpg

 

 

J'aime

j-aime-copie-1.jpg

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8 octobre 2013 2 08 /10 /octobre /2013 10:53

Elle est avachie sur le siège, celui qui est situé tout près de la sortie, exposée à tout les courants ; ceux de l’air, ceux de la foule.

 

Elle a l’air ailleurs, perdue dans ce qui semble être un vide total de pensées. Son gros sac serré contre elle, elle fixe le vague devant elle et livre son corps aux cahots du train qui déroule son chemin dans le matin naissant. Se sont les autres passagers, agglutinés autour d’elle dans ce train bondé, qui la maintiennent droite assise, semble-t-il.

 

Je suis debout, juste devant elle, m’accrochant tant bien que mal pour résister aux assauts de la masse humaine agglutinée dans le wagon. Il est sept heures quarante. Le soleil, timide, a éclot depuis peu et faufile quelques rais orangés entre la léthargie des corps. Il caresse le visage désert de la vieille dame au sac sans réussir à l’éclairer la moindre.  

 

 

Elle fixe le vide devant elle et son regard me passe à travers. Je suis transparente, invisible, je peux la détailler à mon gré. Un nid de brindilles brunes et grises s’ébouriffe sur une face toute ratatinée. Ce n’est pas un visage, c’est une caricature de grisaille et de lassitude. A-t-elle trop pleuré sec pour que les rides ainsi envahissent toute sa face ? Elle porte un manteau noir, posé tout de guingois sur ses épaules tombantes, comme enfilé à la va-vite. Un train à prendre, certainement... Les pans dégoulinent sur des pantalons d’un noir identique. Un noir éteint. Toute la tenue au diapason de sa neurasthénie. Et sur ses genoux, elle tient, serré contre elle comme un objet précieux, un gros sac beige. A-t-elle emprisonnée sa vie dans ce morceau de cuir ?

 

 

08.10.2013

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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 10:53

Le musicien déroulait un tapis de notes

élastiques et profondes

sur lequel

tu laissais glisser

ta poésie

mot             à              mot

en direction du public attentif et conquis


 

Dehors, un oiseau s’est mis à chanter

 

Ou est-ce juste mon âme qui soudain s’est ouverte ? 

 

poesiejb-copie-1.jpg

 

 

 

01.10.2013

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25 septembre 2013 3 25 /09 /septembre /2013 13:13

Les peines se nouent

l’horreur pue

les larmes s'échouent

aux pieds des statues

des cris perlent

la honte déferle

délavant les rues

 

de l'espoir

 

Des entrailles en sang
se perpétue le sort
l'Enfer n'appartient pas aux morts
mais ravage les survivants

 

Ma penne se noue

l’horreur hurle

mes larmes s’échouent

aux pieds des hommes

mon désarroi perle

mes cris déferlent

dévalant les rues

 

de l’insurrection 

 

25.09.2013

 

 

Parce qu'il faut que cela ne soit plus nié


RSR/ESPACE 2 "A vue d'esprit" Emissions du lundi 9 au vendredi 13 septembre 2013

 

« Synonyme terrible de négation de l’autre, d’écrasement, le viol est une arme de guerre utilisée sans limite dans certains conflits. Pour résister contre cet outil de déshumanisation organisée, des médecins et des avocats se mobilisent et se battent pour la dignité des femmes et de l’existence. »

 

cliquez pour écouter les émissions : 


Le viol, arme de destruction 1/5

Le viol, arme de destruction 2/5

Le viol, arme de destruction 3/5

Le viol, arme de destruction 4/5

Le viol, arme de destruction 5/5

Une jeune victime de viols à Goma, en République démocratique du Congo. [Roberto Schmidt - AFP]

Une jeune victime de viols à Goma,

en République démocratique du Congo.

[Roberto Schmidt - AFP]

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Antre ciel ether :

L'ESPACE JEUX 

ou

LES SPASMES JE

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