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5 mai 2015 2 05 /05 /mai /2015 15:48

C’est la nuit tout autour et droit devant, un couloir, où miroite une lumière bleutée.

 

Nadia ne sait si elle doit s’engager dans ce couloir sans promesse apparente ou rester blottie dans la rassurante obscurité. Cela crisse sous le pas lorsqu’elle décide enfin d’avancer et le bruit couvre le son tonitruant des battements de son cœur. Cela devient plus ferme, comme une île au milieu de la mer. Elle butte sur des objets, quatre lettres, qu’elle ramasse et serre contre elle comme ce qu’elle a de plus étranger à elle-même et donc de plus précieux. Deux consonnes, deux voyelles. Juste quatre lettres. Cela devrait être facile de les ordonner en un sens protecteur, stable et apaisant et pourtant plus elle essaie plus cela lui brûle la peau, à l’intérieur d’elle-même. Un cri résonne au-dessus d’elle et lorsqu’elle lève la tête elle voit une multitude d’ailes qui s’agitent avec violence et passion et cela disloque les nuages et comme elle a la tête dans les nuages cela disloque également son esprit.

 

Elle tend les bras droit devant elle et touche du bout de ses doigts éthérés une cuirasse, dur et froide mais douce comme du velours. Elle est aveugle de tout ce qui se passe ailleurs que dans le ciel et c’est pour cela qu’elle arrive à sentir sur sa chair et tout partout en elle, le souffle – parfois rafales parfois bourrasques parfois soupirs parfois bouffée d’espoir parfois rires d'y croire - de celui qu’on aime sans en craindre la proximité physique parce qu’il aime sans désir cette proximité physique. Elle croit serrer contre et en elle-même les quatre lettres, mais elle se rend compte qu’elles existent sûrement mais qu’elles sont tombée dans le gouffre qu’elle a en elle et elles tombent à présent, en choquant les parois et cela vibre et tonne comme l’orage et cela pleut aussi, comme des pleurs. Et couvrant tout cela, une tumeur, qu’elle écoute éclore des profondeurs : « le jour où l’homme saura qu’il n’est pas qu’un phallus », puis tout se tait.

 

Nadia marche des jours et des jours et soudain la nuit tombe sur elle et elle dans la tombe. Alors, effrayée, elle sort de l’inconscience. Mais tout vit

tout vibre

encore

en elle

 

 

 

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16 avril 2015 4 16 /04 /avril /2015 17:25

 

 

Vincent Philippe est né le 24 mai 1940 à Lausanne. Il mène de front les carrières de journaliste, correspondant à Paris des quotidiens La Tribune de Genève et 24 Heures, d’essayiste et de romancier.


Dans son second recueil de nouvelles, Ne dure qu’un instant, publié aux Éditions de l’Aire en 2010, Vincent Philippe décline avec un style pointilliste, coloré et sensuel et par petites touches sensibles et délicates, la question du désir, qu’il décline en une grande variété de tableaux ; tendres, drôles, légers, anxieux ou épicés. Chaque fois, le point de vue change.

Un grand merci à Vincent Philippe ainsi qu’aux Éditions de l’Aire pour leur autorisation.

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4 avril 2015 6 04 /04 /avril /2015 16:18

SÉGUR, Comtesse (de) – Quel amour d’enfant ! | Litterature audio.com

 

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16 février 2015 1 16 /02 /février /2015 17:07

Mise à jour au 16.02.2015

 

PHILIPPE, Vincent – Service militaire | Litterature audio.com

 

 

 

ANDREÏEV, Léonid – Histoire de Sergueï Pétrovitch | Litterature audio.com

 

 

 

ANDREÏEV, Léonid – La Mordeuse | Litterature audio.com

 

 

 

 


 

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12 décembre 2014 5 12 /12 /décembre /2014 11:22

misen-en-veille.jpg

Cela fait quelques semaines, voire quelques mois, que l’envie de tenir ce blog s’effrite.

 

Rares lecteurs réguliers, voyageurs aléatoires, surfeurs curieux ou abonnés mystérieux, je ne connais ni les raisons ni les déraisons qui vous emmènent sur ce blog. Je ne peux que me laisser aller à le supposer, au regard des mots clés qui vous guident jusqu'à lui et des pages visonnées. Et si jusqu’ici j’ai posté pour mon plaisir, je me sentirais comblée si vous avez pu y trouver, de votre côté, quelque intérêt ou divertissement.


Constater que des visiteurs de France, de Belgique, d’Algérie, du Canada , et de Suisse bien sûr, viennent visiter journellement mes pages de présentations d’auteurs romands, me ravit tout autant que l’espoir d’avoir, peut-être, pu leur insuffler l’inspiration de lire quelques-uns de ces discrets mais talentueux écrivains et poètes. Comme je suis comblée lorsque je constate, par exemple, l’attardement d’un pèlerin algérien débarqué d’une recherche googel sur l’article d’Anne-Lyse Grobéty, et qu’avant de repartir, je remarque qu'il est allé fureter un moment parmi les autres articles !

 

MAIS… Depuis quelque temps, une ribambelle de visiteurs débarquent journellement de Hongrie, du Brésil, du Honduras, des Philippines ou de « Unknown » et ce n’est sûrement pas pour mes « beaux mots » - tant mieux pour eux - ni pour découvrir Gil Pidoux ou Jacques Probst - tant pis pour eux. Je constate que ma petite galerie se transforme de plus en plus en grande « surf ace » ; envahie par des fouineurs stériles et frénétiques, des enragés du clic intempestifs et des gagas du zapping. Cela me contrarie, mais il faut rendre à César ce qui est à César et à Esperiidae ce qui est à Esperiidae… ma motivation s’amenuise, mes centres d'intérêts évoluent. Mes publications se font de plus en plus rares, par conséquent ce blog attire de moins en moins de lecteurs réguliers. Je pose les plaques, momentanément, ou définitivement, je ne le sais encore. Dans quelques jours, ce blog perdra son statut « Premium », je ne le renouvellerai pas. Il perdra le design personnalisé que je lui avais composé, il sera à nouveau envahi de publicités, et surtout perdra son adresse www.antre-ciel-ether.ch et redeviendra www.antre-ciel-ether.overblog.com. Les curieux  séduits, les abonnés discrets et les quelques fidèles me pardonneront cette prise de distance ; les nostalgiques pourront toujours remonter le temps et fouiner parmi les anciens articles ou partir se rincer l’oeil sur mon blog photos www.yrys.over-blog.com.

 

Voilà voilà… Une nouvelle année, de nouvelles aventures, de nouveaux espoirs, de nouvelles rencontres, de nouveaux centres d'intérêt… Joyeuses fêtes et Bonne année à tous !

 

 

 

12.12.2014

 


 

 

 

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8 décembre 2014 1 08 /12 /décembre /2014 21:59

 

Version audio :

 

Abigahel ne savait pas trop où elle allait. Elle avançait en silence, elle essayait de sentir sous ses pieds nus la douleur de chacun des cailloux qui jonchait le chemin, à chaque pas cela produisait un murmure éraillé et elle écoutait cette complainte et dans son imagination il lui semblait que chacun d’eux sanglotait. Sacha la suivait juste derrière, à quelques longueurs de pas. Lui n’était pas pieds nus et ses chaussures ne produisaient aucun son parce que le caoutchouc de ses semelles épousait chaque pierre et il pouvait écouter le chant qui s’élevait dans l’air devant lui, et il se disait que c’était beau, triste et gravement simple. Tout autour d’eux, le jour commençait à peine à se lever. Le ciel n’était pas encore tout à fait dégagé de ses ombres vaporeuses et le vent s’efforçait vainement de pouffer quelques rafales brusques et vigoureuses pour terminer de les dissiper. L’homme et la femme marchaient depuis le milieu de la nuit. Ils ne se parlaient pas et pourtant se disaient plus qu’ils ne s’étaient jamais dits…

 

 

Elle sentait la respiration de Sacha dans son dos, calme et chaude, et cela lui plaisait et lui faisait peur tout en même temps. Elle ralentissait un peu, et lorsqu’elle sentait qu’il la frôlait presque, elle avait envie de ralentir encore, pour le toucher. Elle sentait son cœur frémir et murmurer de désir et elle prenait alors peur et accélérait pour retrouver une distance qui lui fournirait de l’apaisement. Elle se plaisait à éprouver ses limites depuis un petit moment déjà quand elle remarqua qu’ils avaient quitté le chemin de pierre et son paysage sans horizon. Ils marchaient à présent dans une ruelle pavée. Il n’y avait plus de cailloux mais des milliers de chenilles avançaient avec eux en ondulant. Sacha et Abigahel se laissaient emporter sans résistance par ce courant animal. Des maisons poussaient tout autour d’eux, une à une, comme des fleurs qui éclosent au printemps, de multiples fenêtres écarquillaient leurs grands yeux incolores sur leur passage et leurs façades, avec leurs couleurs pastel, jaune, rose, violette, bleue, proposaient calme et sérénité et cela donnait envie de chanter et Sacha s’écria : Cela donne envie de chanter ! Et à peine eut-il dit cela que des milliers d’oiseaux se mirent à gazouiller sous les toits. Abigahel se sentit joyeuse, elle écoutait les notes frétiller dans l’air, elle avait l’impression que les chenilles qui rampaient sur les pavés froids s’éclataient soudain, cela ne faisait aucun bruit mais à présent des centaines de papillons dansaient tout autour d’elle et elle sentait l’air autour d’elle palpiter et à l’intérieur d’elle-même quelque chose palpitait aussi, c’était autre chose que son cœur ; c’était partout dans ses veines.

  • C’est beau ! S’exclama Abigahel. Une fleur peut-elle éclore d’un ver de terre ? Enchaîna-t-elle sans réfléchir et aussitôt, elle sentit la honte de son audace empourprer ses joues.

Sacha se mit à rire et Abigahel rougit encore plus fort, à présent la confusion ébouillantait tout son visage tandis que des paquets de larmes salées s’amoncelaient dans le berceau de ses prunelles devenues aveugles.

 

Alors Sacha affirma avec douceur :

 

  • Non Abigahel, le ver ne peut jamais devenir fleur. Mais il peut évoluer et se transformer en sphinx.

 

Et en disant cela, il s’était approché de la jeune fille et avait posé sa main sur son épaule. Abigahel ressentit alors une grande envie de pleurer. Comme si toutes les forces qu’elle avait déployées jusqu’à présent pour rire et chanter s’étaient évaporées sous le souffle brûlant de la promesse révélée par Sacha. Elle se sentait vide, épuisée, et cette sensation était pour elle nouvelle et très agréable. Elle pleura beaucoup mais pas trop longtemps, la joue appuyée sur l’épaule de l’homme. Il lui sembla devenir soudain aussi vieux qu’un sage et la tendresse qui s’installa tout autour d’eux était bienfaisante, eupeptique, douce et riche comme du miel. Puis, relevant la tête, Abigahel offrit un sourire nouveau à tout ce qui l’entourait. Elle se sentait prête pour continuer la marche.

 

Quelque chose comme un chuintement rampait à leur rencontre, droit devant eux et plus ils s’enfonçaient à l’intérieur du village, plus le bruissement les enveloppait et Sacha dit :

 

  • Vous entendez ?

 

Et Abigahel répondit :

 

  • J’ai peur !

 

Sacha s’éloigna un peu, mais pas trop, il marchait à présent au-devant d’Abigahel qui se forçait à marcher plus vite. Sinon, il s’éloignerait et elle se retrouverait seule, non ? Elle regarda le dos de l’homme devant elle et elle vit une chose étrange qui pourtant ne produisit en elle aucun étonnement. Il y avait un trou énorme entre les omoplates de Sacha et dans ce grand trou, il y avait un visage, et ce visage était celui d’Abigahel et Abigahel se regardait et elle comprit alors qu’elle n’était pas une petite fille, comme elle le croyait, mais une femme, pas encore vieille mais déjà plus jeune du tout.

 

La ruelle murmurait toujours et ils ne savaient pas ce que c’était mais cela guidait le couple dans leur périple et plus ils avançaient, plus la ruelle s’élargissait et maintenant ils se trouvaient sur une place énorme et ils voyaient à présent clairement ce qui produisait cette rumeur étrange. Un arbre énorme déployait ses grands bras et tentait de barrer le passage au vent, mais le vent, exalté, fonçait sur l’arbre comme un enragé, chiffonnait le feuillage de ses grandes mains, fouillait désespérément entre les branches comme à la recherche d’un secret essentiel à sa survie, puis, à peine essoufflé, il tourbillonnait un moment dans le vide et repartait tête baissée contre le tronc et s’y éclatait en millier de flèches et ces flèches venaient gifler les visages d’Abigahel et de Sacha. Il y avait de la fureur dans cet instant, mais Abigahel ne ressentait plus aucune peur et Sacha semblait heureux, son regard luisait, victorieux. Abigahel poursuivait sa marche, mais elle s’était retournée pour continuer à regarder le spectacle de l’arbre qui se musclait sous les assauts du vent et se nourrissait de tout ce que contenait cet oxygène puissant qui fouettait ses branches. Sacha continuait aussi de marcher, au-devant d’elle, sans se retourner. Il sentait Abigahel qui le suivait en reculant, il se disait en lui-même « c’est dangereux, elle peut tomber » mais il continuait, confiant, car il savait qu’il n’était jamais loin d’elle et les heures s’écoulaient au rythme irrégulier de leurs respirations.

Ils marchaient depuis des pages et des pages et ils arrivaient devant une grande pente quand Abigahel sentit la main de Sacha toute proche de la sienne, qui irradiait une chaleur douce. Une main qui avait caressé tant d’autres mains déjà, et des corps de femmes, et des corps d’hommes, aussi. Une main qui savait quand il fallait serrer et quand il ne fallait pas, une main qui tenait sans prendre, qui désirait sans exiger. Et cette main soudain se glissa dans la sienne. Elle se demanda « est-ce moi qui ai voulu sa main dans la mienne ou est-ce lui qui a mis ma main dans la sienne ? » mais ce n’était pas une vraie question car elle connaissait la réponse et cette réponse lui faisait plaisir et la rassurait. Sacha et la jeune femme se glissèrent le long de la pente sans crainte de perdre l’équilibre et quand ils arrivèrent en bas, ils se trouvaient devant une grande maison grise et sinistre et l’atmosphère très claire jusqu’à présent s’assombrit soudain et l’air devint lourd et quelque chose d’oppressant se mit à étreindre le cœur d’Abigahel, mais elle ne savait pas trouver les mots pour exprimer tout cela. Alors elle s’arrêta et demanda, et c’était presque un cri :

 

  • Pourquoi m’avoir conduite ici. C’est dangereux !

 

Elle était envahie de peur, son âme regorgeait d’angoisses et elle se mit à trembler. Sacha s’approcha d’elle et tout son visage était crispé, mais dans son regard il y avait de l’amour et de la joie. Il dit d’une voix très calme mais très ferme :

 

  • Ici se trouve quelque chose pour toi. Tu dois entrer, et tu dois y aller seule.

 

Il l’avait tutoyé et cette familiarité, étrangement, rassura un peu Abigahel. Tout son être tremblait encore mais elle se rappelait maintenant l’arbre sur la place et elle comprenait que la tempête à l’intérieur d’elle-même pouvait aussi la nourrir et ne pas seulement la secouer. Mais à présent, elle détestait Sacha et le lui dit, et encore une fois, elle hurla :

 

  • Pourquoi ?

 

  • C’était votre choix. Même quand je vous devançais, je ne faisais que vous suivre. Allez-y maintenant, si vous pouvez. Ce sera dur. Je vous attends.

 

La femme est à présent en colère et ainsi en elle maintenant se battent l’impatience, la crainte et la colère et toutes ces émotions dansent la gigue dans son âme et c’est un peu ivre qu’elle longe la grande muraille qui la mène devant l’immense porte en chêne qui marque l’entrée de ce qui ressemble à une prison. Abigahel pousse la porte et entre, et pénètre à l’intérieur d’elle-même.

 

Sacha est heureux pour Abigahel et pour lui-même, mais pour elle, il a tout de même un peu peur.

 

Abigahel avance. Il y a des couloirs qui se croisent, et ses pas crient sur la surface de béton, les sons s’affolent, s’enfuient puis reviennent comme des rats effrayés. C’est un labyrinthe, mais la femme avance et se dirige sans hésitation et quand elle se retrouve dans le cachot où semble dormir un vieux démon, elle n’est pas étonnée mais elle s’écrie « Enfin ! ». Puis elle se met en colère.

 

  • Enfin ! Répète-t-elle. Puis elle ordonne : explique-moi, maintenant.

 

Le démon est un très vieil homme et il ressemble plus à un dément décharné et sénile qu’à un homme. Il rit et son rire n’est pas un rire mais un grincement affreux, comme si l’éclat qui sortait de la gorge était une craie qui n’arrive pas à glisser correctement sur un tableau noir. Abigahel voudrait qu’il s’excuse, qu’il s’explique, qu’il pleure et se tue devant elle mais l’homme la regarde maintenant droit dans les yeux et continue de vagir et ce sont ses yeux maintenant qui crissent sur la peau d’Abigahel comme une craie qui n’arrive pas à glisser correctement sur un tableau noir. Et cela laisse sur la peau d’Abigahel un double de blessures profondes qui écriront des cicatrices qu’elle ne pourra plus jamais effacer. Elle a mal et très mal mais à présent elle sait que le livre ne sera plus vide et que les marques laissées par l’homme-démon sur les pages de sa vie raconteront enfin une histoire qu’elle pourra prolonger, améliorer, qu’elle pourra, à partir des marques qui sont les siennes dessiner une histoire qui sera la sienne. Alors, elle ne ressent plus de haine pour l’homme qui geint, se tord et semble fondre devant elle, mais une grande pitié. Elle dit :

 

  • Que Dieu te pardonne maintenant, car moi, je t’ai pardonné.

 

 

Puis elle sort du cachot et se retrouve dans la rue sans avoir eu à parcourir le dédale de couloir qui l’a mené jusque-là.

 

Sacha est là, patient et inquiet et comme elle s’approche de lui, il ressent une bouffée d’amour et de désir emporter sa raison très loin au fond de lui et quand Abigahel est tout près de lui, il pose sa main sur sa joue. Elle pleure et il ressent un étrange bonheur à la regarder pleurer et il a envie de l’embrasser, alors il approche son visage et comme la femme ne se retire pas et que ses lèvres lui sourient, il l’embrasse doucement en fermant les yeux. Abigahel frémit et ferme les yeux également ; aucun des deux ne souhaite regarder le prince et la princesse se transformer en crapauds sous l’effet de leur baiser. Une feuille précocement roussie par l’automne qui approche se décroche d’un arbre et le baiser dure tout le temps que la feuille met à virevolter dans les airs, joyeuse et légère et sans tristesse car la feuille n’a aucune conscience de la mort qui est en train de l’emporter. Puis une force puissante mais tranquille sépare la bouche de Sacha de celle d’Abigahel et quand ils ouvrent leurs yeux et se regardent à nouveau, ils se trouvent très beaux et heureux.

 

  • Je n’ai pas le droit, souffle Sacha en souriant.

 

  • Je n’ai pas le droit non plus et nous ne le ferons jamais pour de vrai, répond Abigahel et c’est plus qu’un sourire qui s’épanouit sur ses lèvres ; c’est un véritable éclat et son visage est tout lumineux, comme lorsque le soleil perce la couche des nuages après un orage terrible.

 

Sacha est heureux aussi et il laisse son rire ondoyer tandis qu’il avance d’un pas assuré sur le chemin. Il sait où il va et y va gaiement. Il ne sait pas ce qui s’est passé derrière les murs de l’inquiétante bâtisse qui est maintenant derrière eux. Il aimerait bien savoir ce qu’a fait Abigahel durant tout ce temps où elle n’était pas avec lui, et si elle a rencontré quelqu’un et qui cela peut-il bien être. Mais il ne pose pas de question même si le dard de la curiosité le pique, quelque part où il ne sait pas très bien et quelque chose le démange, à l’intérieur, mais il se tait et se contente de continuer d’avancer, parce que l’absence de réponse aux questions qui ne nous concernent pas ne doit jamais nous empêcher d’avancer. Alors Sacha avance, serein et heureux et avec dans son cœur la foi en toute chose et en Abigahel en particulier. Et cette foi s’exhale de tous les pores de sa peau, l’étreint tout entier comme de la vapeur chaude et camphrée, baise ses joues, ses cheveux, ses mains, danse tout autour de lui et il est si beau soudain, se dit Abigahel, mais elle ne le suit pas, pourtant. Elle reste immobile. Son cœur qui est soudain tout fait de plomb ne bat plus et pèse cent fois le poids monde dans sa poitrine. Elle le regarde s’éloigner, ou peut-être est-ce elle qui s’éloigne ? Elle le laisse s’éloigner, elle ne veut pas, mais elle doit. Parce qu’il y a des êtres que l’on est obligé de quitter même si l’on ne peut pas s’en passer.

 

 

Abigahel écoute un moment avec douleur le bruit effroyable du temps qui se déchire et tout dans son être souffre. Elle lève les yeux et regarde le ciel. Un seul nuage, qui semble perdu, marche sans but dans le ciel qui n’est plus bleu mais pas encore noir. Sacha est loin déjà et déjà, il a tout oublié.

 

 

 

08.12.2014/©Judith Beuret 

 

 

 


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28 novembre 2014 5 28 /11 /novembre /2014 10:33

Donneuse de voix : Esperiidae | Durée : 38min | Genre : Nouvelles


Léonid Andreïev

Léonid Andreïev était un journaliste et écrivain russe (1871-1919). D’une acuité exceptionnelle et d’une lucidité effrayante, il saisissait les facettes de l’âme et les monstruosités de la vie avec une perspicacité et une justesse effroyable. Mais il ne sortit pas indemne de ses observation de l’esprit humain. Alcoolique, révolté, hypersensible, Leonid dut se battre avec ses démons. Le succès ne le lâcha pas jusqu’en 1909, puis ce fut le déclin et l’oubli. Leséditions José Corti ont entrepris la publication de l’intégralité de l’œuvre narrative de Léonid Andreïev (Andreyev). La traduction est assurée par Sophie Benech.

À Sabourovo figure dans le volume Le Gouffre. Avec l’aimable autorisation deséditions José Corti.

Sans titre 2

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28 novembre 2014 5 28 /11 /novembre /2014 10:29

Après Faiseur de rêve et Papier de soi, je vous propose d’écouter la sixième lettre,

« M » comme Mur invisible, un texte aussi court que grinçant…

Sans titre 2

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10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 14:28

 

Il y avait ce crabe, à l’intérieur

douleur peur stupeur

et les traitements, épuisants

 

Il souffrait

il disait « je n’en peux plus »

 

Il y avait le monde autour, qui tournait. Trop vite, trop mal, trop fort

et lui, qui

trop

souffrait

 

Alors, un matin, il dit

« je n’en veux plus »

 

Les premiers flocons grenèlent la lumière sombre de l’aube

Il n’est plus

le vieil homme qui regardait, derrière la fenêtre

                                                                                          passer le train

 

 --> entre deux quais 

 

 

 

 

.



 

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8 octobre 2014 3 08 /10 /octobre /2014 16:26

Donneuse de voix : Esperiidae | Durée : 1h 54min | Genre : Contemporains

la fanee

Thomas Sandoz, écrivain suisse-romand né en 1967, raconte d’une manière touchante et juste ses observations des difficultés de vivre son adolescence dans l’univers rude, viril et sauvage d’une région rurale. Ce récit, écrit sous forme de courts paragraphes, fait penser à une série de diapositives projetées sur un écran noir. Une succession de négatifs – le mot est choisi – pour raconter la longue descente aux enfers d’une adolescente tourmentée, mal dans sa peau, mal dans cette vie de campagne rêche, de terre et de roche, aux habitants à l’image des paysages ; fiers et abruptes. Sachons-le tout de suite, elle ne s’en sortira pas…

Ce récit a reçu le prix Gasser en 2008 ainsi que le prix Auguste Bachelin en 2009. Il a été présenté dans différentes classes de lycée. Je remercie infiniment Thomas Sandoz et les éditions G d’encre, qui ont consenti avec gentillesse et amabilité à la publication de ce récit.

Sans titre 2

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LES SPASMES JE

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